Le choix des hérauts
Hier, si l'histoire avait été différente, elle aurait pu avoir 100 ans ; après tout Traute, son amie, fêtait ses 102 ans la semaine dernière.
Elle aurait, auparavant, célébré ses 30 ans, tout juste un an après la déclaration Schuman, et trois semaines après le traité de Paris.
Mais elle restera, pour toujours, la jeune fille à la large frange, et au regard profond, guillotinée pour avoir distribué des tracts appelant les allemands à repousser le régime nazi. Elle n'avait pas 22 ans.
Aujourd'hui, le motif de son exécution nous semble dérisoire : quelques bulletins jetés par-dessus une rambarde.
Mais, sur ceux-ci, le Tribunal du peuple ne se trompa pas.
Ces quelques lignes, sur quelques feuillets, portaient en effet témoignage d'une humanité non totalement engloutie dans le gouffre hitlérien.
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J'ai toujours trouvé un "sens caché" dans l'homophonie existant entre héros et héraut.
Le premier terme, héros, est souvent galvaudé dans une époque où s'est ancré l'habitude d'utiliser des termes sans nuance, souvent exagérés, par méconnaissance lexicale.
Je pense que les héros historiques ou contemporains peuvent exister. Comme les héros mythiques, ils sont déraisonnables dans leur quête.
S'ils sont objet d'admiration pour les foules (qui font peu de cas de leurs imperfections) c'est, qu'en bien des aspects, ils leurs sont étrangers. Les héros, en effet, sont souvent dans un absolu, à la limite de l'humanité.
Si tel n'était pas le cas, et que nous devions cohabiter avec eux, nombre d'entre eux nous sembleraient détestables.
Le second terme, héraut, désigne, par analogie, plus que le simple officier d'arme. S'il fut le messager des cités grecques, des souverains antiques et des nobles francs, il reste celui qui porte messages et couleurs.
En ce sens le héraut est témoin ou martyr, au sens premier du terme (μάρτυς).
Si elle mourut en héroïne, Sophia Scholl n'avait pas choisi de vivre ainsi. En revanche, ses convictions et sa résolution, la poussèrent au choix d'être héraut d'humanité, porteur d'un message de fraternité et repoussant l'atrocité nazie.
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Comme les choix de notre temps sont simples.
Pourtant, régulièrement, nous faisons mine de ne pas avoir à choisir ; encore plus souvent, nous nous complaisons dans ce que nous déclarons être notre impuissance.
Il est vrai que choisir c'est déjà se trahir. Rien n'étant absolu, le choix est nécessairement compromission.
Ainsi, ceux de la rose blanche devaient souffrir du sentiment de leur propre trahison vis-à-vis d'un Etat, et d'une armée, que les jeunesses hitlériennes leur avaient appris à chérir.
A chaque fois, que j'ai à faire un choix, je n'ignore pas que certaines de ses conséquences - plus ou moins indirectes - me seront désagréables.
Insignifiant que je suis, tels les hérauts, je préfère choisir les couleurs que je porte (dussé je en rougir) plutôt que d'ignorer ma liberté de choisir.