Le cas "kurde" : ne soyons pas romantiques !
Il n'est pas de plus grand égoïsme - et de pire folie - que de détourner le regard.
Lorsque j'étais adolescent, dans un pays qui se drapait encore de quelques haillons de valeurs humanistes, certains parlaient de la notion de devoir d'ingérence. C'était aller bien au delà du simple concept de droit d'ingérence.
Puis, chacun y renonça.
Pour partie, ce renoncement avait des motifs juridiques et "philosophiques", tout à fait justifiés.
Pour partie, ce renoncement était aussi la seule réponse possible à la problématique initialement définie.
Les pays du sud ne voulaient pas s'exposer à un risque de néo-colonialisme (crainte loin d'être infondée) ; les pays du nord ne voulaient pas se retrouver avec de nouveaux devoirs à remplir, vis-à-vis de populations étrangères, alors mêmes qu'ils étaient déjà loin d'assumer ceux qu'ils avaient envers leurs propres populations.
Ce qui m'afflige aujourd'hui, c'est que, sur la variété des gammes existantes entre le devoir d'ingérence et le devoir de réalité, les dirigeants du monde soient - à ce point - incapables de jouer une partition ayant quelques sonorités de justice.
photos Delil Souleiman/ AFP
Chacun connaît mon amour de la Turquie.
Pendant quatre décennies de guerre froide, c'est aux turcs que nous avons confié la garde de la seule vraie frontière entre Occident et Union Soviétique (au nord, Finlande, Suède et Norvège étaient neutres).
Depuis longtemps, ils sont à portée de missiles de l'Iran, de l'Iraq et d'Israël.
Cependant, cela ne nous exonère pas totalement, en tant qu'européens, face au règlement de la question kurde, à plus forte raison hors du territoire national turc.
Cette question est évidemment compliquée.
La constitution d'un Etat du Kurdistan, réunissant tous les kurdes, n'est qu'une chimère enterrée à Lausanne, voici longtemps, et qui d'ailleurs laisserait plus de 500 000 kurdes hors des frontières (ceci hors diaspora, notamment au Khorosan)
Pour autant, on ne peut que constater la prescience de l'identité kurde. Cette nation compte au nombre de ces quelques peuples qui ont réussit à se maintenir, malgré les multiples drames que leur imposa 2 500 ans d'histoire ; jusqu'à présent ne leur fut épargnée que la dispersion (de manière totale, tel la tefutzah).
Notre confiance en eux est tel, que nous leur avons confié les clefs des geôles où sont détenus des centaines d'européens, disciples de DAECH. Mais ont-ils raisons de nous rendre cette confiance ?
Seront-ils, une fois de plus, ces supplétifs que l'Occident délaisse ?
Quel sera le résultat, si nous n'appuyons pas certaines des aspirations kurdes, si nous ne freinons pas les ardeurs d'une autorité turque à la recherche de triomphes ottomans après ses déboires électoraux ?
Pour nous - les moins concernés -reste la honte d'avoir abandonné nos alliés, ceux qui furent les premiers à arrêter l'Etat Islamique quand personne n'osait rien faire, entre lâcheté et diplomatie alambiquée.
Pour eux, reste d'abord le drame, le sang, les larmes et après ? Malgré la résilience du peuple kurde, après le choc et la sidération d'avoir été abandonné, après le déni face à l'injustice d'un tel abandon, comment ne pas comprendre que viendra la colère et la rancœur.
Et alors, nous n'aurons pas seulement perdu notre âme (nous en avons l'habitude) et des alliés, nous nous serons créés de nouveaux sujets de cauchemars.