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Moi, ce que j'en dis...

Poissons, fake news et autres rumeurs

1 Avril 2019 , Rédigé par Simon Rodier Publié dans #Vie publique, #Convictions

Aujourd'hui, comme chaque année à la même date, l'équipe municipale de Saint-Bonnet-le-Chastel a sacrifié à la tradition du poisson d'avril.

Deux jours auparavant, je m'agaçais d'une rumeur colportée par certains, le plus naturellement du monde et sans la moindre gêne.

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En France, depuis au moins le XVIe siècle, il est d'usage se divertir en proclamant une information erronée. Cette imposture a cependant vocation à être découverte, ou, à défaut, à être dévoilée par l'exclamation "poisson d'avril".

Cette pratique, aux origines mal définies et vraisemblablement multiples, avait alors une vertu éducative, incitant chacun à la méfiance vis-à-vis de la rumeur.

Il est utile de se rappeler que, jusqu'au début du XXe siècle, dans un monde rural de l'entre-soi, la réputation constituait un enjeu majeur, notamment par rapport aux stratégies matrimoniales(1) et commerciales. Dans ce cadre, les canulars du 1er avril constituaient autant d'alertes par rapport aux fausses informations pouvant circuler au sein de la communauté villageoise.

Sur le fond, l'Eglise y trouvait aussi un intérêt, tant elle craignait la propagation des superstitions et des croyances villageoises. Peut-être est-ce pour cela qu'elle ne condamna jamais la pratique du poisson d'avril, malgré les nombreux préceptes, issus des écritures, qui, pourtant, auraient pu lui être opposés(2).

Depuis longtemps, les médias traditionnels -qui ont vocation à informer et non à propager des "on-dit"- sacrifient, dans le même cadre, à la coutume du poisson ; je connais bien des personnes qui, le 1er avril, lisent la Montagne avec plus d'attention afin de débusquer l'information qui n'en est pas une.

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Mais, au cours de la dernière décennie, il est apparu d'autres médias qui ont fait du canular leur fond de commerce, poissonnier d'avril en toutes saisons.

Parmi les plus célèbres - et les plus honnêtes dans l'affirmation de leur vocation parodique - on peut citer le Gorafi, Nordpresse, ou encore, pour les anglophones, the onion.

Il y a aussi des sites de désinformation absolue dont la vocation n'est pas d'alerter sur les risques de la rumeur mais, au contraire, d'alimenter celle-ci. Le plus souvent, il s'agit de servir les intérêts de leurs rédacteurs, proches, ou financeurs. Cela relève du soft power(3) et a le double avantage d'être sans risque et pérenne : "calomniez, calomniez, il en restera toujours quelques chose"(4).

Paradoxalement, leur principal argument est imparable : on vous ment, et, puisque nous disons le contraire des autres, c'est que nous nous délivrons la vérité.

 

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Au delà des enjeux directs de nuisance ou de pouvoir, les fake news [selon une expression qui commence à s'imposer] constituent aussi une source de revenus financiers.

Au cœur de la stratégie, l'intérêt que représente les publicités récurrentes.  Plus que sur leurs robots, les officines de désinformation comptent sur la capacité de chacun à s'émouvoir et - surtout - à se scandaliser.

Le plus beau, c'est que selon un schéma mental bien connu, plus le mensonge est gros, plus il passe et plus les clics se multiplient. Or, à chaque relai, à chaque clic, à chaque émoticône, il y a un publicitaire qui est certain que vous serez influencé par son annonce - qui se trouve là, juste sur le côté de cette pseudo-information.

Si vous êtes doué dans ce "travail" vous pouvez espérer un revenu de 3 000€ mensuellement, voire 3 000€ quotidiennement(5).

 

* *** *

Mais, au delà de l'intérêt financier à produire de la fausse information, le phénomène n'a rien de nouveau et s'appuie sur un schéma très ancien(6). Bien sûr, internet a démultiplié, et de manière exponentielle, la capacité de propagation d'une rumeur.

C'est d'ailleurs vrai depuis l'origine. Je me rappelle de l'époque, au début de la généralisation des courriels, où je m'obstinais à répondre à des amis me transmettant de fausses informations (ou des informations périmés). Je leur indiquais alors qu'il était prudent, avant de les envoyer à tout leur carnet d'adresse, de les vérifier avec des outils tels que le quasi-défunt hoaxbuster.

Je ne reçois plus ce genre de message ; peut être mon sens critique et mon souci de vérité me faisait-il passer pour un mauvais coucheur...

 

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La vérité est que l'être humain aime se raconter des histoires. C'est naturel puisque que ce sont elles qui le lient à la communauté, et qui donnent du sens aux choses.

D'une part, il est rassurant, dans un monde complexe, de simplifier les choses pour leur donner corps et unité. Les mythes anciens assuraient, autrefois, ce rôle de mise en cohérence d'un univers dont les phénomènes ne pouvaient être expliqués par aucune science. A une époque où les sciences et le progrès ont rendu visibles leur côtés sombres(7), il n'est pas illogique de se détourner d'eux pour refaçonner de nouveaux mythes pouvant se baser sur quelques faits réels et, surtout, sur la perception qu'on en a.

D'autre part, cela est confortable. Car même si notre capacité à changer le monde est infime, elle n'est pas inexistante. Or rares sont les colibris(8) et les Elzéard Bouffier(9).

Bien souvent on se préfère donc impuissant. On ne cherche pas à comprendre, ou à questionner, la vérité dans sa complexité, puisqu'on est certain de déjà la maîtriser, dans sa triste simplicité. Au mieux proteste t'on !

Et si, par hasard, on vous propose de venir confronter vos propres assertions à la réalité tangible, simplement en franchissant une porte pour ouvrir un dossier : on refuse ! On préfère l'humide et amère chaleur de la certitude des victimes plutôt que l'aride effort de la recherche du vrai.

Et c'est ainsi que, depuis longtemps, tout ce qui vous accable est de la faute des autres : depuis l'aragne complot judéo-maçonique, jusqu'au sombre migrant du grand remplacement, en passant, évidemment, par le Maire de votre Commune.

 

Devenus de toute saison, les nouveau poissons d'avril sont souvent bien malodorants

Devenus de toute saison, les nouveau poissons d'avril sont souvent bien malodorants

1 : dans ce domaine on peut lire avec intérêt les travaux de Pierre Lamaison sur l'ousta (la "maison") en Gevaudan du XVIIe au XIXe siècle.

2 : entre autres exemples : "Dieu n'est pas un Dieu de confusion" (1er épitre aux corinthiens, 14:33), ou "Le discours de la folie [l'imagination] n'est que péché, et le moqueur est en abomination à l'homme" (proverbes 24-9) et, bien évidemment, le "tu ne mentiras point" des dix commandements.

3 : ce concept, développé par Joseph Nye a mis en évidence les capacités alternatives à influencer le comportement, voir les objectifs prioritaires, d'un adversaire ou d'un partenaire potentiel, par d'autres moyens que la force ; dans ce concept la hiérarchie des puissances militaires et économiques devient accessoire dans la capacité à construire son environnement de développement (ex : la culture fut longtemps l'un élément dominant du soft power - même si le concept n'avait pas encore été défini - de la France)

4 : Francis Bacon (1561-1626).

5 : sources, notamment Le nouvel obs rue 89 et UP'magazine

6 : un petit diaporama pour se rappeler que les fake news sont aussi vieux que la communication humaine.

7 : Le gaz moutarde à plus d'un siècle, la bombe atomique près de 75 ans et nous avons tous conscience que le développement, permis par le progrès ,n'es pas sans impacts négatifs sur l'environnement et la santé.

8 : Bien qu'elle soit désormais connue j'aime à raconter cette légende amérindienne qui raconte qu'un jour il y eut un immense incendie de forêt. Tous ceux des animaux qui n'avaient pu s'enfuir observaient le désastre en attendant leur fin. Seul un petit colibri s’activait. Cette créature insignifiante en cessait les allers- retour au fleuve pour aller chercher quelques gouttes avec son bec et les jeter sur le feu. Après un moment, un tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! " Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part."

9 : Ecrite en 1953, la nouvelle de Jean Giono "L'homme qui plantait des arbres" peut toujours se lire - ou s'écouter - avec le même optimisme.

 

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