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Moi, ce que j'en dis...

Les plantes cultivées en Haut-Livradois au XVIIIe siècle

1 Septembre 2006 , Rédigé par simon rodier Publié dans #En Livradois, #Flaneries sur la Terre des Hommes

A la fin du XVIIIe siècle, les baux de métayage classaient les plantes cultivées en deux grandes catégories : les blés et les “ fruits de mars ”[1]. Cette terminologie n’est pas sans poser quelques problèmes. En effet, le terme générique de blé, habituellement synonyme de céréale, désignait uniquement le seigle tandis que celui de “ fruit de mars ” était employé tant pour l’avoine que pour l’ensemble des autres cultures de plein champ semées, ou plantées, au printemps[2]. Parmi ces dernières se trouvaient en particulier les légumineuses[3] et surtout des tubercules comme les raves[4] dont Pierre Monghal réclamait deux charretées par an à son métayer de Berthouare ou encore les “ truffes ”, pommes de terre issues d’une variété américaine importée par Parmentier.
Chacune de ces plantes avait un intérêt spécifique pour l’agriculteur et occupait une place particulière dans le fonctionnement des structures et des communautés visant à la subsistance.

 

La céréaliculture

 
L'’inaptitude des sols n'enlevait rien au fait que les céréales étaient, au XVIIIe siècle, à la base de l'alimentation. Les terres labourables devaient donc leur être consacrées pour une part importante de leur superficie. Pourtant, parmi toutes les variétés existantes, seules deux étaient fréquemment citées dans les textes du XVIIIe siècle : le seigle et l’avoine. Si toutes deux avaient l’avantage d’être relativement rustiques, elles n’occupaient pas nécessairement la même place dans la vie des habitants du Haut-Livradois.
  
 
Le seigle
 
Appréciant les sols acides et ne craignant pas trop le froid, le seigle semblait tout indiqué pour le Haut-Livradois. Dans les écrits du XVIIIe siècle en tout cas, c’est cette plante que l’on rencontre le plus fréquemment. Ce sont ces grains qui sont le plus souvent vendus, prêtés ou échangés. Le seigle était même la seule plante à entrer dans la composition des pensions aux veuves[5]. Il avait en effet l'immense avantage, par rapport à d’autres céréales, tel l'avoine par exemple, de produire une farine panifiable de bonne qualité nutritionnelle. En la quasi- absence, apparente en tout cas, du froment[6], cette farine aurait pu être une des bases de l’alimentation.
L'étude, au sud des Monts du Livradois, des devoirs de sortie (c'est à dire de ce que devaient laisser les métayers lorsqu'ils quittaient un domaine[7]) nous apporte sur ce point des renseignements utiles. On peut en effet y constater que dans presque tout les cas les propriétaires de domaines imposaient aux colons d'ensemencer une certaine surface de seigle. Or, ce devoir ne s'accompagnait d'un labour pour “ les fruits de mars ” que dans la moitié des métairies et il est bien certain que le calendrier des travaux champêtres n’est pas le seul à expliquer cette distorsion. Quels que soient les baux, cette dernière superficie était par ailleurs toujours nettement inférieure à celle ensemencée de seigle. Dans certains des plus grands domaines elle correspondait environ à sa moitié soit un tiers des terres à rendre préparées. Dans les autres elle constituait souvent, et comparativement, une surface encore moindre : une éminée au domaine du laboureur Roussel à Bovayes, 10 cartonnées dans le domaine d'Etuy ( contre environ 7 seterées de seigle). Cette indice corrobore le sentiment diffus qu’on peut se faire en parcourant toutes les sources du XVIIIe siècle et que l’on peut conforter en étudiant les recensements agricoles du XIXe siècle[8]. A l’époque moderne, le seigle était bien, en Haut-Livradois, la culture de labour prépondérante. Elle était aussi l'une des moins contraignantes en soins. Bien sûr, il s'agissait d'une plante au développement particulièrement long. Semée en octobre dans des terres biens préparées, sa germination nécessitait une longue période d'hivernage qui la soumettait à de nombreux risques, dont l'inondation lors de la fonte des neiges. Mais jusqu'aux mois de juillet - août, période de la récolte, ce grain ne demandait pas beaucoup de soin.
En revanche, l’épi du seigle étant relativement fragile, la durée de la saison agricole pour les moissons devait être très réduite. C'était d'ailleurs pour cette raison que les paroissiens de Chambon avaient demandé à l'évêque le déplacement de leur fête patronale[9]. Elle tombait en effet traditionnellement en plein milieu des grands travaux agricoles de l'été et privait les brassiers chambonois d'une journée de salaire, mais aussi les propriétaires de Saint-Bonnet-le-Chastel d'un indispensable appoint de main d'œuvre. Pendant les rares périodes disponibles pour la culture, le besoin de main d'œuvre, à la tâche ou à la journée, se trouvait donc très concentré. Cette offre de travail ponctuelle pouvait d’ailleurs autoriser d’éventuels brassiers migrants à revenir plusieurs étés, voire chaque année, en Haut-Livradois. Ainsi, un individu ayant choisi de quitter ce pays pour des raisons économiques pouvait y faire des retours épisodiques sans pour autant trop fragiliser sa situation financière. Réciproquement, de la part de l’ensemble des exploitants agricoles, la demande de main d’œuvre devait pouvoir être trop forte à certaines périodes au regard de l’offre. Les habitants de la zone centrale des Monts-du Livradois se plaignaient d’ailleurs, par l’intermédiaire de leurs consuls, d’une manière collective de ce problème posé à tous[10]. Si à la moisson, chaque Maison devait donc déjà pouvoir disposer de tous ses bras, ceux-ci pouvaient même venir à ne pas suffire. C’est ce qu’entreprirent d’expliquer les membres de la municipalité de Sainte-Catherine lorsque l’intendant leur demanda comment pouvait fonctionner leur système agricole[11]. Selon eux c’était uniquement grâce au respect d’une règle essentielle qui voulait que tous les habitants “ se servent l’un l’autre ”. On retrouve cette image de la main d’œuvre solidaire qui veut que chaque paysan assistait autrefois son voisin pour la culture de ses champs. Très bucolique, elle n’en conserve pas moins une réalité. Dans les communautés du Haut-Livradois, les notions de solidarité et d’assistance pouvaient l’emporter sur celle de stricte propriété. A Sainte-Catherine-du-Fraisse au moins, il était hors de question de ne s’occuper que de son bien, de sa terre, en ignorant la situation de ses voisins. Le seigle, base essentielle de l’alimentation pour tous, était un enjeu économique partagé.
Mais comme toute source de richesse, le seigle pouvait aussi être une source de conflit. Les gerbes entassées dans les champs devaient être à l’origine de bien des tentations et apparemment le vol de blé n’était pas un acte excessivement rare. Ainsi, même le foyer et la famille des Vernets de Losfeneyrols s’y adonna[12]. La situation de celle-ci était pourtant relativement aisée, leur Maison était l’une des plus puissantes et influentes de la paroisse de Doranges et les associés comme les domestiques y étaient d’ailleurs nombreux. Aucun impératif économique ne semble donc avoir poussé ses membres à dérober 350 gerbes à Benoît Roussel, laboureur de Marchaud[13]. Annet Chapus qui représentait l’ensemble des Vernets à la transaction, avait pour seul ligne de défense sa bonne foi. Selon lui, les gerbes étaient dues à sa mère. Quand on sait que le seigle avait été ramassé en pleine nuit, cette bonne foi peut nous apparaître douteuse et pourtant Annet Chapus pouvait être réellement sincère. Voler du blé n’était pas nécessairement une action strictement crapuleuse à but financier mais plutôt, pour celui qui avait le sentiment d’être lésé par un tiers, ici Benoît Roussel, un acte de réparation et d’auto-justice. Le seigle, qui occupait une grande part de l’espace agricole, était après tout un objet essentiel des relations de solidarité et d’échanges, en particulier par l’intermédiaire du prêt de soudure[14]. Au XVIIIe siècle les testaments sont nombreux à mentionner ces prêts de quelques carton de blé n’ayant le plus souvent fait l’objet d’aucun écrit. Dès lors, cette accusation de vol de seigle ne pouvait pas être lancée à la légère du fait de sa gravité et de sa charge en sous-entendus. Claudine Pouyade de Leuromas, mise en cause dans une affaire semblable, n’était ainsi pas prête à se laisser diffamer sans réagir[15]. Ce fut donc elle qui porta plainte au bailliage et non Jean Couderas, son voisin et accusateur. Pour justifier ses paroles et accusations, ce dernier invoqua un “ moment de vivacité ” qui lui avait fait perdre toute mesure et toute proportion dans ce qui retentissait à travers toute la région comme une grave injure. Mais le mal était fait et Claudine Pouyade réclama entre autre une rétractation écrite devant le bailli où sa probité serait reconnue.
Malgré son importance économique et culturelle le seigle ne devait pourtant pas être pas la seule plante à impliquer les paysans dans le jeu des solidarités paysannes et villageoises. Il est vraisemblable que le constat fait par la municipalité de Sainte-Catherine-du-Fraisse sur les services respectifs devait aussi s’appliquer aux autres céréales comme l’avoine.
 
 
L'avoine
L’avoine était apparemment la seule céréale de printemps régulièrement exploitée. Sa culture était relativement simple, semailles en mars - avril et moisson en été. Pourtant, comme je l’ai déjà signalé pour les domaines du sud des Monts du Livradois, elle semble cependant avoir été bien moins répandue que celle du seigle[16]. Des raisons économiques ont pu amener cette situation. Non panifiable, l’avoine était en effet de moindre valeur que le seigle. De plus, le rendement des deux céréales semble avoir été très voisin et, quand il lui était un peu supérieur, comme à Saint-Genès-la-Tourette, il n’y dépassait pas le troisième grain[17]. Financièrement, cultiver de l'avoine était donc de peu d'intérêt. Ainsi, un carton semé ne pouvait rapporter que 15 sols, la semence déduite, alors qu'un simple quintal de foin en valait 20 et une couverture de Catalogne au moins 200[18]. Un autre indice de l’aspect minoritaire de la culture de l’avoine par rapport à celle du seigle est encore fourni par certains baux du sud des Monts du Livradois. Il y était en effet parfois précisé que sur 6 ans une terre ne porterait que trois récoltes quelques en soit le type[19]. L’existence d’une jachère biennale ne permettait et ne justifiait donc pas la culture d’un “ blé ” de printemps.
Les collectes d’Aix, d’Echandelys et de Saint-Genes-près-Chaméane semblent cependant faire exception. Si on se réfère aux enquêtes faîtes en 1788[20], et aux quelques exemples concrets de laboureurs qui y sont donnés, les quantités d'avoines semées et récoltées semblent avoir été les mêmes que celles du seigle. Un tiers de la surface des exploitations, citées en exemple par les syndics, était ensemencé de seigle, un autre tiers l’était d’avoine, le dernier tiers restant vraisemblablement en “ temps mort ”, c'est à dire en jachère. Dans les hautes vallées du Veysson et du ruisseau de la Maillerie, la rotation des cultures s’établissait donc sur un cycle triennal.
Pourquoi donc cette distorsion entre les deux zones. Deux hypothèses d’explication semblent pouvoir être proposées. La première serait celle d’une plus grande fertilité du haut bassin de l’Eau-Mère par rapport à ceux de la Dolore et de la Haute-Dore. Le socle géologique étant aux deux endroits le même, et les processus érosifs et de pédogenèse voisins, cette hypothèse ne peut pas vraiment tenir à l’analyse. La seconde est plus crédible dans la mesure où on prend en compte le fait que les sources et les objets analysés ne sont pas les même selon les zones. On peut en effet considérer que l’existence d’une grande superficie de pacages et de prés communaux dans la zone Eau Mère permettait de nourrir les bestiaux des laboureurs pendant toute la saison sans neige, et ce sans avoir recours aux fourrages d’hiver. Tous les prés étaient donc fauchables car non pacagés. Or ce recours aux communaux n’était pas possible dans la plupart des domaines de la vallée de la Dolore. Il était peut-être alors plus rentable de laisser des jachères-pacages pour les bestiaux plutôt que de cultiver une avoine dont le setier se payait à peine 6 livres[21]. Les champs n’en étaient alors que mieux fumés, et mieux reposés, et l’ensemble des pâtures privées réservées à la fauche pour le fourrage d’hiver.
Si en revanche cette pratique de la jachère bisannuelle, dans les domaines du sud des Monts du Livradois, n’était rien de plus que la stricte application des pratiques culturales ambiantes, le problème se poserait encore en des termes différents. Ce constat n’a pu être fait pour la fin du XVIIIe siècle mais il existe une tradition orale qui plaide pour cette rotation à cycle biennal. Il faut bien sûr s’en méfier, la mémoire commune étant fréquemment accablante pour le passé. Si cependant elle était le reflet de la réalité, les raisons des différences entre ces deux zones seraient sûrement d'avantage complexes à établir. Il faudrait peut-être s'intéresser aux servitudes collectives qui si elles avaient été moins fortes car moins bien installées au sud des Monts du Livradois» que dans la zone “Haut-Bassin-de-l’Eau-Mère” n’auraient pas pu permettre une rotation efficace sur trois soles par un non-respect des bans.
 
Au delà de ces différences, où qu'elle se trouve en Haut-Livradois, une terre ne pouvait pas porter, en dix ans, plus de six récoltes, voire en certains endroits plus de trois. Pour le paysan, cette faible productivité de chaque parcelle était de surcroît renforcée par un espace agricole tout autant réduit dans le temps que dans la superficie. Pour modérer ces inconvénients, le paysan pouvait toutefois élargir sa gamme culturales à d’autres plantes non céréalières comme les légumineuses[22] ou encore les tubercules, au premier rang desquelles était la “ truffe ” ou pomme de terre.
 
 
 
Le développement de la culture de la pomme de terre
 
On ne sait pas si le constat fait par Abel Poitrineau[23] pour les Monts du Forez, où la pomme de terre aurait pu constituer “une base de l'alimentation [...] à la fin du règne de Louis XV ” est généralisable au Haut-Livradois voisin. Au sud des Monts du Livradois, plusieurs actes notariés semblent cependant indiquer qu’elle s'implantait toutefois doucement. En 1764, si Claude Maistre, notaire royal à Saint-Bonnet-le-Chastel dut imposer à son nouveau métayer de Bovayes d'en semer deux setiers, il n'avait plus, quatre ans plus tard, pour le domaine Fauchier, qu'à passer un bail à mi-fruits, qu'ils soient de “ blés ou de truffes ”[24]. Dans cette zone, le précieux légume commençait donc déjà à modifier les pratiques culturales, du moins dans certaines métairies. Dans la zone centrale des Monts-du Livradois, il semble que ce tubercule se soit aussi répandu. En fait, les baux de métayage ne nous sont d’aucune utilité pour cette région, car apparemment toujours muet sur la questions des truffes. Toutefois les minutiers renferment d’autres sources qui peuvent parfois suppléer à ce vide. Un procès-verbal d’usurpation de communaux peut ainsi nous permettre de répondre en partie à la question de la généralisation de la pomme de terre et de sa culture. En effet, en 1783, sur les 92 parcelles usurpées, défrichées et exploitées dans les communaux situés le long du chemin reliant le bourg de Saint-Eloy au village de Buisson, 31 étaient déclarées comme plantées de “ truffes ”[25]. Il faut toutefois préciser que ces parcelles étaient bien moins étendues que celles consacrées aux céréales (de l’ordre de trois à quatre coupées contre deux à trois cartonnés pour l’avoine ou jusqu’à une seterée pour le seigle). Mais, tout en restant minoritaire sur le plan des superficies cultivées, il apparaît manifeste que l’exploitation de la pomme de terre était diffusée dès la fin des années 1770 dans la plupart des foyers de paysans. Cette généralisation, même si elle n’était pas totale, devait pouvoir faire du tubercule un objet économique comme les autres et donc, tout comme le seigle, un bien soumis au vol. Marguerite Montel et son fils Guillaume Palet s’était ainsi “ appropriés de voie de fait ” une partie de la récolte semée par leur voisin Pierre Merle[26]. L’affaire était d’autant plus complexe que la plantation avait été effectuée dans une portion du coudert des Besseyres, c’est à dire sur des terres qui étaient théoriquement communes aux deux parties. Ce point est d’ailleurs remarquable car les rares fois où les notaires mentionnaient l’existence de cultures de truffes dans la zone centrale des Monts-du Livradois, celles-ci étaient intimement liées à des usurpations[27]. On peut difficilement tirer de ce fait des conclusions très nettes tant les lacunes de la recherche sont dures à combler dans ce domaine de par la rareté des sources. Toutefois, il semble possible d’affirmer que les paysans rechignaient un peu à développer l’exploitation du tubercule sur des fonds propres. L’insistance de Claude Maître le notaire de Saint-Bonnet-le-Chastel à faire réserver des terres de sa métairie pour les « truffes » peut d’ailleurs être comprise dans ce sens[28]. Cette "nouvelle" culture qui se répandait au détriment de l’avoine pouvait donc, d’une certaine manière, être repoussée dans les franges et la marginalité des exploitations agricoles, les vacants, les terres les moins fertiles des métairies, les communaux où la privatisation des terres était précaire. Cette défiance à intégrer ce légume dans les cultures centrales de l’exploitation peut s’expliquer de manières parallèles. D’une part, le cultivateur ne souhaitait sans doute rien faire au détriment des céréales et principalement de ce seigle si nécessaire à la vie sociale comme au paiement du cens et aux débouchés économiques anciens et sans doute mieux assurés. D’autre part, la pomme de terre réclamant des soins pendant une longue durée, sa culture impliquait des contraintes auxquelles la société altilivratenaise du XVIIIe siècle n’était peut-être pas encore préparée.
Les procédés de cultures de la pommes de terre, plante sarclée, n'avaient en effet rien de commun avec celles des céréales. Il fallait tout d'abord effectuer un premier labour d'automne puis un second au printemps. Après avoir plantée, et non semée, la pomme de terre, il fallait la recouvrir et effectuer un ou plusieurs sarclages. La récolte, enfin, ne consistait pas en une fauche suivie d’un battage (qui éventuellement pouvait être différé dans le temps) mais en un arrachage et un ramassage où le rapport à la plante récoltée était tout différent, la force brute du paysan perdant un peu de son importance. Ces techniques devaient nécessairement s’intégrer ou modifier les habitudes et les traditions pour permettre la diffusion de cette plante. L’appropriation de parcelles au sein même des communaux était une solution pour une culture qui, à priori, ne se substituait pas mais se superposait à celle des céréales, les soins à prodiguer ne l’étant d’ailleurs pas au même période. Seule racine à avoir vraiment quittée le jardin pour les champs[29], tout chez elle en faisait une culture de marge par rapport aux traditions agricoles. Par ailleurs sa culture ne se heurtait pas nécessairement à un manque de bras. Les hommes n’étaient pas, au moment de sa plantation ou de sa récolte, occupés par d’autres travaux sur les cultures céréalières tandis que les femmes et les enfants de glaneurs aux faibles rendements devenaient d’efficaces ramasseurs. Par ailleurs, si elle avait besoin de nombreuses petites mains, en particulier pour le sarclage, cette culture ne nécessitait l’existence d’aucunes contraintes communautaires, ce qui n’était pas forcément le cas des céréales. Chaque exploitant pouvait en effet décider de la date à laquelle il voulait ramasser sa récolte sans pour cela risquer de coucher celles de ses voisins. En revanche le développement de son implantation courait le risque d’être rapidement limité par le manque de terres ayant un intérêt agricole. "Essayée" dans les communaux la pomme de terre y avait donc fait ouvrir des champs qui pour certains n’avaient pas tardés à se clore de haies et de fossés prenant ainsi tous les aspects de la propriété privée[30].
 
 
 
Ainsi, pour s'alimenter à la fin du XVIIIe siècle, le paysan du Haut-Livradois ne cultivait qu’une série limitée de plantes de labours. Il fallait donc qu’il tire le meilleur de ces quelques espèces. Pour assurer son avenir il devait s’appliquer à leur culture espérant que la récolte serait bonne et permettrait aux siens de subsister. Il fallait qu’il se règle sur les exigences de ces plantes et qu’il règle son exploitation, donc sa maison, de la même manière. Il devait en particulier pour la récolte des céréales disposer entre juillet et août d'un nombre important de moissonneurs travaillant ensemble. Le développement de la pomme de terre, dont la récolte pouvait commencer dès la fin des fenaisons et se poursuivre jusqu’au mois d’octobre, ne faisait d’ailleurs que renforcer le besoin d’une main d’œuvre mobilisable entre juin et septembre.

Ensuite, le seigle et l'avoine étant des plantes à tendance hydrophobe, le paysan devait organiser le drainage de ses champs. Or ce drainage, comme l'irrigation sur les terres “ très arides ” des côtes et des sucs, était une opération nécessitant un accord entre tous les propriétaires du terroir. Dans les contrats de partage des eaux l’enjeu était d’ailleurs toujours celui de l’irrigation et de l’alimentation des serves et jamais la fourniture d’une eau à usage domestique

Enfin, à partir de l’instant où la culture de la pomme de terre commençait à se répandre dans les biens privés et en vertu de la règle “ seigle sur pomme de terre ”[31], elle permettait pour ses fonds propres un recours à la jachère moins systématique. Mais alors la disparition de ces friches temporaires pouvaient être susceptibles d’affaiblir la pratique de l’élevage dans une région où l’entretien estival des bestiaux aurait pu s’appuyer sur le pacage des jachères.
 

[1] Baux d’assence contenus dans l’ensemble des minutiers étudiés.
[2] Les labours pour les fruits de mars sont une clause importante dans de nombreux baux de métayage (d’après l’ensemble des minutiers étudiés).
[3] A la différence de la région d’Issoire le pois est peu cultivé et il est plutôt remplacé par le haricot, moins gourmand en terme d’eau et de fertilité. Toutefois ce dernier ne couvre lui aussi qu’une part marginale des champs et reste essentiellement cantonné aux jardins.
[4] Essentiellement utilisées comme complément d’alimentation pour le bétail.
[5] d'après les constitutions de pensions et les contrats de mariage contenus dans les minutiers Barrière, Chaboissier et Chassaignon.
[6] Cette absence est totale dans les actes, en particulier notarié, du XVIIIe siècle, et même dans les recensement agricoles du XIXe siècle (archive municipale de Saint-Bonnet-le-Chastel), la culture du froment apparaît comme relativement marginale.
[7] Minutier Chassaignon et AD63 C 3755.
[8] Archives municipales de Saint-Bonnet-le-Chastel et Novacelles.
[9] AD63 1 G 1107 (Procès Verbal de la visite de l'évêque).
[10][ AD63 4 C.425 (enquête de 1788 sur les populations de Basse-Auvergne).
[11] AD63 4 C.425 (enquête de 1788 sur les populations de Basse-Auvergne).
[12] Minutier Chassaignon année 1764 (transaction Chapus-Roussel).
[13] Commune de Saint-Bonnet-le-Bourg.
[14][ Ceux-ci laissaient peu de traces écrites et on ne peut les repérer que lorsque sont remémorés les dettes orales dans les testaments et dans quelques transactions (d’après l’ensemble des minutiers étudiés en particulier ceux des notaires Barrière, Chassaignon, Faugière, Maignet et Roche).
[15] Minutier Roche année 1781 (transaction Pouyade-Couderas).
[16] et ce même en considérant que les dates d’entrée dans les métairies pouvaient infléchir les devoirs de sorties.
[17] AD63 4 C 425 (enquête de 1788 sur les populations de Basse-Auvergne).
[18] AD63 4 C 425 et ensemble des minutiers étudiés.
[19] Minutier Chassaignon.
[20] AD63 4 C 425.
[21] AD63 4C.425 (enquête de 1788 sur les populations de Basse-Auvergne).
[22] L’existence de quelques champs de fèves en “Haute-Dolore-et-côtes-de-Mons ” est avérée d’après l’étude systématique du minutier Roche mais la pratique semble avoir été très marginale et circonstancielle. Le domaine des haricots devaient en effet rester le jardin.
[23] POITRINEAU, Abel, Remues d'hommes : Les migrations montagnardes en France. 17e - 18e siècles, Paris, 1983, p.10
[24] Minutier Chassaignon années 1764 et 1768 (baux d’assence)
[25] Minutier Roche année 1783 (procès-verbal des usurpations des communaux du Buisson).
[26] Minutier Roche année 1781 (transaction Montel-Merle).
[27] Minutiers Tardif, Roche et Barrière Jean-François.
[28] Ibidem.
[29] Même si cela semble avoir été des superficies bien moindre que celles consacrées aux céréales.
[30] Minutier Roche année 1781 (procès-verbal des usurpations des communaux du Buisson).
[31] Le seigle pousse en effet mieux sur une parcelle cultivée l’année précédente en pommes de terres.
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