Armand Guillaumin, un impressioniste en Auvergne

Dans l'après midi, cette vue de Saint-Sauves, par Armand Guillaumin, passe en vente aux enchères à Riom.
Notamment grâce aux Amis des Musée, le MARQ possède 4 oeuvres de ce peintre, ce qui est peu quand on considère son talent et son attachement à notre région.
Sa mère, née à Clermont-Ferrand[1], était originaire des Combrailles ; lui-même, incontestablement, était un enfant du Bourbonnais[2] où s’enracinèrent certaines de ses plus solides amitiés[3].
![]() "Guillaumin au pendu", gravure par Cézanne |
Peindre en impressionniste, ... mais surtout peindre !
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Les deux trains. |
Comme tous les impressionnistes, il cherche à poser, sur la toile, non seulement le motif mais aussi l’instant, dans tout ce qu’il peut avoir de fugitif. Dans ce domaine, les œuvres exposées au MARQ sont significatives, on y perçoit toute l’instabilité, presque la furtivité, qui peut exister dans un paysage soumis à la météorologie montagnarde et à la grande variabilité de la lumière.
![]() Armand Guillaumin, Petit vallon à Pontgibaud, huile sur toile, vers 1890 |
Pour autant, les œuvres de Guillaumin sont généralement structurées, notamment après 1880. Il ne s’agit pas de composition, mais le souci du réel n’exclut pas l’esthétisme. Le choix du motif dépend donc de cette contrainte et c’est presque naturellement que les espaces se définissent.
Dès l’origine, et avec constance, l’œuvre de Guillaumin est tenue en haute estime par ses pairs. Gauguin par exemple le juge « rempli de talent »[9] tandis que Cézanne dit de lui qu’il « est un artiste de grand avenir et un bon garçon que j'aime beaucoup »[10].
Peindre mais sans théorie
Ce qui rapproche les artistes qui assument - durablement ou pour quelques temps - la qualification d’impressionniste, c’est essentiellement leur rupture avec l’académisme, bien plus que la réalité de leur art. Dès lors ils ne forment pas un groupe immuable et en tout point cohérent.
L’histoire de l’impressionnisme est émaillée de nombreux conflits qui n’épargnent pas Guillaumin. Ainsi, celui-ci ne partage pas la position de Degas, qui continue de prôner la primauté du dessin sur la couleur. C’est dans cette divergence de vue que les exclusions de son ami Cézanne -et de lui-même- par Degas lors de la IIe exposition impressionniste[11] trouvent une partie de leur origine.
A ce sujet, même s’il n’est pas d’un caractère foncièrement plus facile[12] que les autres impressionnistes, Armand Guillaumin semble répugner à participer aux affrontements que ceux-ci se livreront jusqu’à la dispersion du groupe[13]. Capable de défendre une opinion[14], il préfère néanmoins toujours peindre à débattre[15]. Il évite ainsi les conflits d’écoles et de courants, perte d’un temps qui lui est rare[16]. Malheureusement pour sa postérité, il se met ainsi en marge des affirmations artistiques. Peignant selon son idée, il n’est pas homme des revendications picturales[17], ce qui participe sans doute à son relatif oubli[18] et au mépris que lui affichèrent certains critiques. Aimant conseiller les jeunes artistes[20] – du moins s'ils ont du talent -, s'intéressant au travail des avants gardes[19], il ne veut cependant ni théoriser, ni révolutionner, se condamnant à ne se voir reconnaître par les admirateurs de celles-ci que les « qualités honnêtes d'un artisan »[21].
Un paysagiste
Son œuvre, si elle présente une unité, n’en est pas pour autant uniforme. Guillaumin touche à tous les genres avec un même bonheur. Portraitiste de talent – d’abord pour vivre, puis, après son mariage, de l’intimité familiale, il sait peindre de très belles natures mortes (surtout lorsque le temps est mauvais), des nus féminins[22], voire des tableaux à la limite de la scène de genre[23].
Ses pastels sont admirés tant par la critique que par ses confrères et, dès 1872, il s'est initié à la gravure chez le Dr Gachet, en même temps que Cézanne.
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Mais c'est surtout en peintre paysagiste qu'Armand Guillaumin se préfère. Ces tableaux peuvent alors avoir un angle de vue large ou particulièrement serré, s’enfermer dans un vallon presque sans ciel[26], s’attacher à représenter la rue ou la place d’un bourg[27], ou au contraire embrasser tout un plateau[28].
Armand Guillaumin, Les grottes de Pranal près de Pontgibaud (huile sur toile, 72,0x73,5 cm ; Musée de Gand)
Avec le même talent, il peut représenter un village d’Ile-de-France animé de personnages et de volailles, des landes désertes, des vues urbaines – voire industrielle[29] – ou, les paysages givrés de Crozant.
La neige à Ivry |
| Canal en Hollande |
De son travail avec Pissarro, il a gardé le goût des perspectives ouvertes par des chemins tournants. Bien souvent, les courbes qui parcourent les toiles de Guillaumin sont aussi scandées par des successions d’éléments verticaux. C’est ainsi que, fréquemment, des arbres, presque erratiques, se limitant à des troncs dessinés de gros traits noirs et à l’architecture d’une ramure baignée d’un halo ou de flammèches colorés, « se crispent à des pentes fuyant vers des maisons »[30].
Environs de Pontoise en Ile de France (73x92 - c.1885) | Paysage de Saint-Sauves (1900) |
Paysage à Pontgibaud (huile sur toile, 65,0x81,0 cm ; c.1895)![]() |
| ![]() Armand Guillaumin, Campagne à Pontgibaud (1893) |
Un coloriste
Mais ce qui caractérise le mieux l’œuvre de Guillaumin, c’est la couleur. Fénéon le présente comme un « coloriste forcené »[31] ; Huysmans comme « un coloriste féroce » précisant qu’« au premier abord, ses toiles sont un margouillis de tons bataillant et de contours frustres, un amas de zébrures de vermillon et de bleu de Prusse ; écartez-vous et clignez de l’œil, le tout se remet en place, les plans s’assurent, les tons hurlants s’apaisent, les couleurs hostiles se concilient et l’on reste étonné de la délicatesse imprévue que prennent certaines parties de ces toiles »[32].
Avec le temps, son tempérament s’est assagi et son style s’est éloigné des naturalistes romantiques aux tons sombres dont il était si proche jusqu’au début des années 1870. En regardant ses toiles peintes après 1885, on voit comment il a remis de la rigueur dans son dessin mais aussi comment ses touches deviennent subjectives, ses couleurs denses et expressives. On comprend alors bien vite pourquoi il est considéré comme un précurseur du fauvime. Durand-Ruel fit d’ailleurs remarquer qu’il faisait « du fauvisme avant la lettre » dès l’exposition de 1886. Avant toute chose, Guillaumin n’aime pas les couleurs froides. Ainsi il n’aime pas les paysages d’été, trop vert, et qui ressemblent à des « tas d’épinards »[33], et quand il se rend à Agay, pour peindre la mer, ce qui l’enthousiasme ce n’est pas les couleurs changeantes de celle-ci mais le vermillon des rochers rouges de l’Estérel[34]. N’indique t’il pas lui-même qu’il se « sert de la couleur presque arbitrairement pour s’exprimer fortement » ?
Armand Guillaumin, Le village de Peschadoire (huile sur toile ; c.1895, Neue Pinakothek, Munich, Germany) | deux vues d'Agay |
Cette importance de la couleur, elle caractérisera toute la suite de l’œuvre de Guillaumin, même lorsque sa palette s’éclaircira avec les gelées blanches de Crozant, si demandées par ses marchands et que le vieux peintre aime tant peindre. Car, incontestablement, Guillaumin est le peintre de Crozant[35]. Pour autant, cela ne doit pas faire oublier qu’il peignit bien d’autres lieux : l’Ile-de-France[36] évidemment mais aussi la Bretagne[37] et la Normandie[38], puis avec l’amélioration de sa situation financière, la Côte d’Azur[39], le Dauphiné[40], la côte charentaise[41] ou même les Pays-Bas. A plusieurs reprises il a également posé son chevalet en Auvergne, d’abord dans les environs de Pontgibaud[42] où il conservait apparemment des attaches familiales[43].
Armand Guillaumin, Le hameau de Peschadoire au soleil, (huile sur toile, 80,3x65,0 cm ; novembre 1895 ; Musée des Beaux Arts de Rennes [dépôt du Musée du Louvre])
En octobre 1889, Gauguin s’inquiète ainsi de savoir si Guillaumin a « rapporté de bonne études » de son séjour estival en Auvergne[44]. Le Pont dans les montagnes du Musée des Beaux-Arts de Boston daterait de cet épisode[45].
Armand Guillaumin, Pont dans les montagnes (huile sur toile ; 65,4x 81,9 cm ; août 1889 ; Museum of Fine Arts [Boston])
Comme beaucoup de tableaux d'Armand Guillaumin, cette toile est dédicacée. On trouve là un autre motif qui expliquerait, selon Christopher Gray, le relatif oubli dont souffre l’œuvre de Guillaumin : sa promptitude à donner ses tableaux aussitôt réalisés, sortant ainsi des réseaux et s'éloignant des enjeux de ces marchands d'art qui font les tendances. Au moins deux des œuvres du MARQ ont suivi ce parcours, La Vue du Sancy, dédicacée "à mon ami [illisible]" et le Paysage près de Saint Julien des Chazes qu'il offrit au sculpteur Paulin.
En août 1890 il est de nouveau dans sa famille auvergnate et ne peut, ainsi, assister aux obsèques de Vincent Van Gogh.
Il rapportera de ce séjour Meules sur le plateau de Bromont où se dessine la silhouette de la chaine des Puys.
En 1895, pour les vacances scolaires, c’est toute la famille Guillaumin, qui passe l’été dans les environs de Pontgibaud[47] y restant jusqu’en octobre. Quelques temps auparavant le peintre avait fait un court séjour à Saint-Julien-des-Chazes dont la gare se situe sur la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand.
En février 1896, remontant sans doute d’Agay pour rejoindre son épouse, qui accouchera cinq semaines plus tard de leur quatrième enfant, il passe quelques temps à Saint-Sauves, peignant cette Vue du Sancy depuis Saint-Sauves le jour de la Saint-Valentin.
Armand Guillaumin, Le Sancy vu de Saint-Sauves d'Auvergne, 1896 (huile sur toile ; 60x72 cm ; Musée d'Art Roger-Quilliot)
Dans l’hiver 1899-1900, il est de retour dans cette commune, profitant peut-être de l’ouverture de la ligne de chemin de fer de Laqueuille à la Bourboule au cours de l’été précédent[48] ; n'oublions pas en effet que, s'il a pu peindre tant de coins de France, c'est que le train à vapeur les lui rendait accessible.
Lors de ce séjour Il peint divers paysages dont au moins trois versions d’une même Vue de Saint-Sauves.
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De 1906, enfin, on connaît un Bords de la Sioule, manifestement estival, qui semble attester d’un nouveau séjour dans les environs de Pontgibaud et qui marque un retour aux grands aplats.